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Economie

Droit du travail : « Un programme de réformes complet et ambitieux »

En étroite concertation avec l’Organisation internationale du travail (OIT), une agence de l’ONU qui dispose désormais d’un bureau à Doha, l’émirat s’est lancé dans un vaste projet de réformes pour améliorer les conditions de travail des employés migrants. Entretien avec Max Tuñón, chef du bureau de projet de l’OIT au Qatar.

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Pourquoi l’OIT a-t-elle ouvert un bureau, il y a quatre ans, à Doha ?

En 2014, des syndicats internationaux ont déposé une plainte auprès de l’OIT, accusant le Qatar de ne pas respecter les conventions sur le travail forcé et l’inspection du travail. Au cœur de cette plainte figuraient des allégations selon lesquelles le système de kafala [parrainage et mise sous tutelle de n’importe quel travailleur étranger, ndlr] entraînait l’exploitation des travailleurs migrants. À ce stade, il y avait très peu de coopération sur le terrain entre l’OIT et l’État du Qatar pour résoudre ces problèmes. La plainte des syndicats a déclenché une décision du Conseil d’administration de l’OIT de déployer une mission tripartite de haut niveau au Qatar. Après une période de négociations, l’État du Qatar et l’OIT se sont mis d’accord sur un programme de réformes majeures du travail, qui a été approuvé par le Conseil d’administration de l’OIT et a conduit à la clôture de la plainte en 2017. Cinq mois plus tard, en avril 2018, l’OIT ouvrait un bureau à Doha.

 

Quel est le rôle et quels sont les moyens de l’OIT au Qatar ?

Le programme qui a été convenu entre le gouvernement du Qatar et l’OIT, et négocié avec l’Organisation internationale des employeurs et la Confédération syndicale internationale, est extrêmement complet et ambitieux. Il couvre divers domaines de la législation et de la politique, ainsi que le renforcement des systèmes et des capacités des différentes institutions afin de garantir une meilleure protection des droits des travailleurs migrants et de moderniser les relations de travail. Au cœur de ce programme se trouvait le démantèlement des éléments les plus problématiques du système de la kafala, à savoir la possibilité pour les travailleurs de quitter le pays sans le consentement de leur employeur et, surtout, celle de changer d’emploi sans son consentement. Cela réglait fondamentalement le déséquilibre de pouvoir qui existait entre les travailleurs et les employeurs. Avec l’introduction de ces réformes, les travailleurs ont désormais plus de droits, plus de pouvoir de négociation, et les employeurs sont incités à leur assurer de meilleures conditions de travail et de vie afin d’attirer et de retenir leur main-d’œuvre. Les entreprises peuvent désormais embaucher les travailleurs dont elles ont besoin sur le marché du travail existant au Qatar. Cela réduit les risques et les coûts associés au recrutement international.

Votre récent rapport montre que 50 ouvriers sont morts en 2020 sur les chantiers de la Coupe du monde 2022. Alors qu’une enquête du Guardian (Royaume-Uni), relayée par des ONG, affirme que 6 500 ouvriers sont morts en dix ans. Ces chiffres sont très différents. Comment expliquez-vous cet écart ?

Le chiffre de « 6 500 morts » a été largement reproduit par de nombreuses autres sources, n’incluant pas toujours le contexte et les détails de l’article original, et attribuant souvent ces décès à la construction des sites de la Coupe du monde. Le chiffre inclut tous les décès dans la population migrante sud-asiatique, sans différenciation entre les travailleurs migrants et la population générale (enfants, personnes âgées ou adultes non actifs), ni selon que les décès sont dus au travail ou à d’autres causes. De plus, la population migrante sud-asiatique au Qatar est très importante et diversifiée, et les migrants de ces pays représentent bien plus de 50 % de la population totale. Ils sont de tous âges, professions, état de santé, et beaucoup ont passé des décennies dans le pays. Par conséquent, il convient d’établir une distinction entre le nombre de travailleurs migrants dont le décès est lié à leur travail et ceux qui sont décédés pour des raisons sans rapport avec leur travail. L’OIT a collaboré avec le gouvernement et plusieurs autres institutions pour publier un rapport présentant l’ensemble des données disponibles sur la question. Nous avons constaté qu’il y avait eu 50 décès liés au travail en 2020, 506 blessures graves et 37 000 blessures légères et modérées. Nous disposons de ces données ventilées par cause de blessure, nationalité, âge, sexe et secteur d’activité. Nous pouvons utiliser ces informations pour éclairer de meilleurs efforts de prévention, qu’il s’agisse de la législation, de la formation des inspecteurs du travail ou des campagnes de sensibilisation des travailleurs et des employeurs. Le rapport a également mis en lumière la manière dont le gouvernement recueille actuellement ces données sur les accidents du travail et les décès, et comment cela peut être amélioré.

Avez-vous constaté des changements et des améliorations dans la législation du travail et les conditions de travail au Qatar, en particulier pour les travailleurs étrangers ?

Jusqu’à présent, l’une des principales réalisations du programme de réforme du travail a été le démantèlement des éléments les plus problématiques du système de la kafala, et en particulier la possibilité pour les travailleurs de changer d’emploi. Au cours de la première année depuis l’introduction de ces réformes, plus de 240 000 travailleurs ont changé d’employeur, ce qui représente une proportion importante de la main-d’œuvre. De toute évidence, les entreprises ont également profité du recrutement de ces travailleurs localement et de la recherche de travailleurs qui correspondent mieux à leurs besoins. De plus, nous avons vu l’introduction d’un salaire minimum non discriminatoire de 1 000 QAR (256 euros) qui s’applique à tous les travailleurs de toutes nationalités et dans tous les secteurs, y compris le travail domestique. Cela a conduit 280 000 travailleurs, soit 13 % de la main-d’œuvre, à voir leurs salaires augmenter.

La loi sur le salaire minimum est extrêmement importante car elle établit également un salaire de base et des allocations de nourriture et de logement en plus de cela. De manière significative, la loi établit une commission du salaire minimum qui examine l’impact du salaire minimum et propose des ajustements sur une base annuelle. Cela dit, les réformes sont confrontées à des défis de mise en œuvre, ce qui n’est pas surprenant compte tenu de leur ampleur. L’OIT aide le gouvernement à assurer une application plus efficace de ces réformes. Le travail n’est pas terminé et il reste encore beaucoup à faire !

> Une étude sur le stress thermique

Pour s’attaquer au problème du stress thermique, qui représente l’un des principaux risques professionnels pour les travailleurs au Qatar, l’OIT a mené, en collaboration avec le ministère du Travail et le Comité suprême (organisateur du Mondial de football 2022), les recherches les plus approfondies qui aient été réalisées dans le monde sur l’impact du stress thermique sur la santé des travailleurs. Nous avons étudié l’impact physiologique de la chaleur sur les travailleurs, les avons suivis tout au long de leurs quarts de travail (quarts du matin et quarts de nuit) et testé diverses stratégies d’atténuation du stress thermique, qu’il s’agisse d’hydratation, de vêtements ou de ratios travail/repos. Cette recherche a contribué à éclairer une nouvelle législation, adoptée en mai 2021, qui prolonge la période durant laquelle le travail à l’extérieur est interdit. Selon la nouvelle législation, tous les travaux extérieurs sont interdits entre 10 h et 15 h 30 du 1er juin au 15 septembre. De plus, la législation établit un seuil à partir duquel tous les travaux extérieurs doivent s’arrêter, peu importe l’heure de la journée ou le jour de l’année. Il oblige également les employeurs à effectuer un dépistage médical annuel pour les travailleurs de plein air afin que ceux qui sont plus sensibles aux troubles liés à la chaleur puissent être affectés à d’autres tâches.

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